Je me souviens…
Toutes ses images qui s’élèvent dans mon esprit comme autant d’esprits ou de vapeurs épaisses, floues, informes. Les odeurs de temps non encore passées, autant de fièvres brulantes d’une soif de découvertes. Et sa présence…
Je me souviens…
Cette présence si chaude, si réconfortante, de ce cocon vibrant de pureté, douce étole délicate dont la caresse sur mon âme en gardera à jamais le frisson. Elle écartait ses racines comme autant de bras maternels peut être pour mieux protéger ses enfants, mieux protéger ses boutons presque éclos mais guère encore tout à fait pousses.
Je me souviens…
De ce rêve, diaphane, illustration vivante d’un monde en constante évolution, dont les enseignements sont autant de traits d’un pinceau généreux de vie. Ses petites choses qui courent, je saurai plus tard que ce sont des skritts. Mais peu importe ce qu’elles sont à ce moment, de mes yeux entrouverts sur un demi-monde, j’entraperçois les richesses d’une existence qui ne saurait plus tarder.
Je me souviens…
De ce glissement, genèse de mon existence, naissance en ce monde. De l’immatériel au sensoriel, le toucher de l’herbe grasse, le chant des oiseaux, la lumière luisante des lumilules, le parfum de la lavande. Vertiges de vie, à genoux sur la terre de ce monde. Je relève les yeux et son regard bienveillant m’accueille en ce monde.
- Venez mon frère…Dit-il une main tendue. Vous avez beaucoup à découvrir.
Le bouton a éclot, ma cosse n’est plus, et je prends sa main prêt à me laisser entrainer dans ce monde qu’ils nomment Tyrie.
*****
-Réveilles-toi !!
Gniiii…J’ouvrais les yeux mais les rayons d’un soleil à son zénith me poussaient à les refermer. Je suis vaseux, je veux dormir encore…Je suis si bien.
-Allez Fuaimniù réveilles toi !! Il est midi et tu sais quoi ?
-Mmmmh non…Je grognais emmitouflé dans une large feuille. Laisses-moi dormir…
Eldenar me secouais alors, et m’ébouriffa les feuilles comme il avait tant l’habitude de faire avec Firus son chien de fougère, ce qui eut le don de m’agacer.
-C’est ton moisanniversaire !
J’ouvrais une seconde fois les yeux. C’est vrai c’était mon moisanniversaire, déjà, que le temps passe vite, et je quittais le doux refuge qu’était ce petit nid de feuilles et de lianes emmêlées.
-Déjà ? Je chassais un bâillement d’un revers de la main.
-Oui, tiens j’ai amené des fraises, juste pour toi. Me dit-il alors que je levai mon regard vers lui.
Eldenar était un grand sylvari, assez grand pour être aussi presque aussi grand que moi, mais beaucoup plus large que je ne le serai jamais. Il est venu en ce monde avec quelques feuilles sur un épais branchage qui lui sont très tôt tombés. Ainsi de son bois clair, il ressemblait à un chêne en hiver.
Je piquais quelques fruits dans la coupelle qu’il me tendit en me redressant légèrement sur le lit, croisant les jambes.
-Et que m’as-tu réservé comme surprise mon Frère ? J’espère de quoi…je piquais une autre fraise juteuse du bout de mon doigt…me distraire.
-Bien sûr, pour qui me prends-tu ? Son regard de pomme verte brulant d’une malice tel que je frémissais déjà d’excitation.
D’une main molle, je vins lui prendre la coupelle des mains pour la poser sur le lit et me tourner sur le ventre, agitant les jambes. La gourmandise eu très tôt déjà d’être un trait important de mon caractère et j’en dégustai tous les fruits jusqu’au dernier, le gout sucré ravissait mes papilles, et me procurait une certaine ivresse, légère mais non moins déjà addictive.
Je surpris le regard d’Eldenar un sourire aux lèvres, un sourire…moqueur.
-Qui a-t-il. Pourquoi me regardes-tu comme ça. Quel est ce sourire ? Murmurais-je.
-N’ai-je pas le droit de te regarder mon frère ?
-Ho si j’en ai même l’habitude mais ce sourire-là, je le connais aussi Eldenar…
Un rire léger et aérien fusa dans la cosse alors qu’il s’approchait de moi, son index vint lentement me caresser le pourtour de mes lèvres et j’aperçu un peu du nectar rouge clair du fruit sur son doigt.
-Tu en as pleins la bouche…
J’haussais les épaules puis une fois la coupe de fruit vide, me leva en m’étirant de tout mon long.
-Bien, je prendrai bien un bain…
-Non. Répondit mon ami.
-Quoi non ? Si, je veux prendre un bain !
-Non…Nous partons Fuaimniù.
-Nous partons ? Dis-je surpris. Tu veux dire nous quittons le Bosquet ?
-C’est bien ce que je dis, nous partons. Me répondit Eldenar un large sourire aux lêvres.
-Mais…Mais…vraiment ?
Je me préparais nerveusement, jamais je n’avais encore quitté le Bosquet, ce n’était guère l’envie qui me manquait, mais Eldenar me mis toujours en garde contre les dangers du monde, et jamais je ne pris le courage de quitter la douce étreinte de Mère. De ses racines il était vrai que j’en avais fait le tour, les jardins, les étangs, les cosses, aussi prudent et sage que je puis l’être, je n’étais pas moins du cycle du demi-jour et la fougue était telle une petite voix dans ma tête qui me poussait à envisager cette possibilité. Fou de joie je m’enveloppai de mes courtes feuilles avant de sauter dans les bras de mon frère. Celui-ci me rattrapa avant même que je puis m’effondrer au sol et je levai un regard plus timide dans le regard de celui qui m’accompagnait depuis mon éveil.
-Si tu es prêt…L’Arche du Lion nous attend.
J’hochais lentement la tête, face à ce grand frère je me rendais compte comme je n’étais qu’une brindille, et je quittais le confort de ses bras puissants. Nous sortîmes alors de ma cosse direction le portail qui menait à l’Arche du Lion.